Note de synthèse : L’origine de la Guerre Froide : comment s’est mis en place l’antagonisme structurant entre les anciens alliés américains et soviétiques ?

25 juillet, 2021 | Conflits, Défense et Sécurité  |  Commentaires fermés sur Note de synthèse : L’origine de la Guerre Froide : comment s’est mis en place l’antagonisme structurant entre les anciens alliés américains et soviétiques ?

La Guerre Froide s’est cristallisée en quelques années entre 1945 et 1947. En avril 1945, le président Roosevelt s’interrogait sur la poursuite de sa politique de conciliation à l’égard de Staline peu de temps avant sa mort. Mais, c’est son successeur H. Truman qui va rapidement modifier la politique étrangère américaine pour accompagner le passage de l’état de guerre chaude contre les pays de l’Axe à l’état de Guerre Froide avec les Soviétiques.

L’enjeu des relations soviéto américaine à la fin de la Seconde Guerre Mondiale était l’institutionalisation d’un nouvel ordre international. Celui-ci a progressivement été défini au cours des conférences internationales à trois : Téhéran, en décembre 1943, Yalta, en février 1945, Postadm en aout 1945 et San Francisco en juin 1945 pour la fondation des Nations-Unies par les pays anciens membres de la défunte Société des Nations (SdN).

Le premier sujet à aborder est la capitulation sans condition des puissances de l’Axe et leur avenir politique. Les alliés sont confrontés de nouveau à la même question sur laquelle la Conférence de la Paix à Paris en 1919 à finalement échoué en 1939. L’Allemagne est donc partagée en 4 zones d’occupations par les alliés, y compris Berlin. L’autorité est prise en charge par les alliés en accord avec le démembrement acté à la Conférence de Téhéran. Le désarmement de l’Allemagne est complet ainsi que sa démilitarisation, sa denazification, le jugement des criminels de guerre, le contrôle de l’administration, la décentralisation et la démocratisation du régime. Cependant, pour les pays libérés le désaccord est total. La Pologne est translatée vers l’Ouest et sa partie perdue est récupérée par l’URSS. De plus, l’URSS entreprend d’établir des régimes de démocratie populaire sous tutelle. Leur fonction est de protéger le territoire soviétique d’une nouvelle invasion lors de la prochaine guerre mondiale. En effet, Staline envisageait l’avenir à partir des décennies précédentes : 1919 – 1939 avec un nouvelle crise économique systémique qui conduirait à la troisième guerre mondiale. Il cherchait donc à consolider la position de force de l’URSS en attendant les grandes crises à venir.

Au contraire, pour Truman, il s’agit d’évier l’impair wilsonien. Il faut donc établir une nouvelle institution internationale corrigée des défauts de la SdN. Les valeurs sur lesquelles reposent l’alliance anglo américaine ont été explicité dans la Charte de l’Atlantique en 1941. Elles sont le fondement des Nations-Unies (ONU) et elles seront aussi constitutive du Traité de l’Atlantique Nord en 1949 et de l’OTAN. Ces valeurs étaient déjà intégrées dans les 14 points du président Wilson en 1917 et sa traduction institutionnelle à travers la SdN.

Au niveau de l’organisation, les organes de l’ONU sont l’Assemblée Générale, le Conseil Economique et Social, la Cour Internationale de Justice, le Secrétariat et surtout la différence importante par rapport à la SdN : le Conseil de Sécurité (UNSC) où les 5 grandes puissances possèdent de fait un droit de veto, les Etats Unis, l’URSS, la Grande Bretagne, la France et la Chine. C’est donc une organisation qui intègre les mécanismes d’équilibre des puissances du Concert Européen dans l’institution mondiale afin d’éviter l’effondrement de l’ordre international de 1939.

On voit donc s’affronter au cours de l’été 1945 deux conceptions opposées de l’organisation mondiale. L’enjeu est le renoncement par l’URSS de ses ambitions communistes globales pour préserver une entente bénéfique à la paix avec le camp capitaliste.

Le décor est ainsi posé. La pièce va se jouer en 3 actes.

Le premier acte relève de la diplomatie en 1945 et 1946. C’est l’établissement de la paix avec les anciens alliés de l’Allemagne Nazie : la Yougoslavie, l’Albanie, l’Ethiopie, la Lybie, l’Erythrée, la Somalie, la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie. Les traités contiennent des clauses de limitation des armements et de réparations pour les alliés. De plus, le conseil des ministres des affaires étrangères des vainqueurs se réunissent à Londres pour aborder le problème italien. L’union soviétique devait occuper la place qui lui était due. Le refus des ministres américain Byrne et britannique Bevin est pour le ministre soviétique Molotov une violation d’un engagement pris lors des Conférences internationales pendant la guerre. Réciproquement, la question de la libre élection des gouvernements des pays d’Europe de l’Est (Bulgarie, Roumanie, Pologne, Tchecoslovaquie et Hongrie) face à la volonté stratégique de l’URSS de bénéficier d’un glacis de pays soumis afin d’assurer la sécurité qu’elle n’avait pas obtenue après la première Guerre Mondiale conduit les administrations anglo américaine à envisager la rupture des négociations. Une pax sovietica est établit en Roumanie, Bulgarie, Hongrie. Sur le plan territorial, les soviétiques veulent restaurer en Europe de l’Est au minimum la situation géographique de 1937 en imposant des gouvernements pro communiste. De plus, la Finlande et l’Autriche sont neutralisées Le secrétaire à la marine américaine, J. Forrestal qui, poussé par les soviétologues C. Bohlen, G. Kennan et par le sous secrétaire d’état D. Acheson tendait à une interruption des discussions inutiles et à une politique de containment par la force. Le constat de l’absence de compromis avec les soviétiques conduit à l’ajournement du conseil. La négociation diplomatique semble enrayée.

Dans l’autre théâre d’opération la situaton diplomatique semblait plus simple au sujet de la question du Japon. Les Etats-Unis avaient pris leur préocautions pour garder le contrôle sur la reconstruction du Japon où les Soviétiques n’avaient qu’un rôle de spectateur. 

La confrontation a émergé plus concrètement dans une région stratégique pour les forces armées : le Moyen Orient et le pétrole. En avril 1945, le retrait des forces anglo soviétiques d’Iran devait se concrétisé comme prévu. Cependant, le parti communiste, le Tudeh, organise en Azerbaidjan iranien une révolte et des revendications d’autonomie pour les 5 millions d’azerbaidjanais. Les troupes soviétiques empêchent les forces iraniennes d’intervenir. Staline déclara qu’il fallait protéger les champs pétrolifères de Bakou contre les iraniens hostiles à lURSS. Le secrétaire Byrne envoya le croiser Missouri naviguer à proximité de la Turquie en Méditérannée orientale et le président Truman menance Staline de l’arme atomique dont les Etats-Unis avaient le monopole. Face au risque de perdre la confrontation et donc de perdre les nouveaux territoires récemment mis sous tutelle en europe de l’est, Staline recula.

A la Conférence de Paris en avril 1946, le secrétaire d’état Byrne déclare « il n’y a pas de rideau de fer que les sentiments conjugés de l’humanité ne puissent percer. » La Conférence vota des recommandations qui seront toutes refusées par les soviétiques en novembre 1946 à la Conférence de New York.

Le deuxième acte est déterminé par la partition du leader soviétique, Joseph Staline, afin d’établir son pays comme l’autre grande puissance.

Ce deuxième acte répond en partie à la question de l’origine de la Guerre Froide, ie la responsabilité de Staline. Il apparait d’abord qu’à aucun moment entre 1945 et sa mort en 1953, Staline n’a voulu déclencher une guerre frontale contre les Etats-Unis. Cela aurait conduit à la défaite de l’URSS et à la perte de tout les gains de territoires. Churchill, anti communiste convaincu, la écrit des la mort de son adversaire.

Plus précisemment, au sortir de la guerre victorieuse, l’URSS est ruinée et affamée. La reconstruction peut se faire de 2 façons : en acceptant une aide étrangère, ou par un immense effort de la population ; maintenue par un gouvernement totalitaire dans le silence et à un très bas niveau de vie, de façon à produire une vaste épargne collective et à investir dans l’industrie lourde. Pour y parvenir, Staline s’est appuyé sur une terreur policière et la crainte d’une nouvelle qui permet de justifier des mesures politiques exceptionnelles.

En 1948, la production industrielle s’était accrue de 27% par rapport à 1947 et dépassait de 18% le niveau de 1940. Cet énorme effort se déroule grâce à un environnement de peur, de surveillance généralisée et un régime policier totalitaire.

La population peut se sentir rassurée par la brutalité du pouvoir face à la peur d’une nouvelle guerre globale. Le soviétisme dans sa brutalité et ses modes de fonctionnement est renforcé par la violence de la seconde Guerre Mondiale. La population accablée par les épreuves tragiques de la guerre se sont réfugiés derrière un protecteur dont ils acceptent même les cruels caprices. Les soviétiques ont accepté Staline parce qu’ils l’ont cru capable de les protèger contre les menaces extérieures.

Ainsi, Staline a contribué à l’extension du régime communiste sur l’europe orientale et en Asie. Presque partout où l’Armée rouge était présente, il imposa l’installation d’un pouvoir économique à partir de partis minoritaires aux ordres de Moscou (via le Kominform et le KGB) dès 1945 en Pologne, Roumanie et Bulgarie, en 1947 en Hongrie, au début de 1948 en Tchécoslovaquie. Mais, il a manifesté une prudence stratégique remarquable afin de rester « acceptable » au regard des intérêts vitaux des Etats-Unis. Ainsi, en décembre 1946, il abandonna les partisans pro communiste dans l’azerbaidjan irannien.

Enfin, le troisième acte est la réaction américaine face à Staline et l’orientation stratégique de la politique étrangère vers le « containment » dont l’arme « secrète » ne sera pas nucléaire mais économique à travers la capacité à statisfaire les besoins de la société de consommation.

Face au risque d’extension du communisme à l’europe de l’ouest, les américains mettent en place un programme d’aides d’urgences et de reconstruction économique. En effet, tous les territoires où s’étaient déroulés les combats étaient complètement détruit sauf le territoire américain épargné. Les Etats-Unis avaient joué le rôle d’arsenal pour les alliés et leur production industrielle avait plus que doublé à la fin de la guerre. Ils avaient accumulé la moitié du stock d’or mondial. Tous les pays ruinés, anciens alliés ou anciens ennemis, avaient de besoins immédiats très supérieurs aux ressources disponibles. De plus, les diverses denrées et biens de premières nécessités ne pouvaient être achetés qu’aux Etats-Unis et avec des dollars. Le « dollar gap » requiert la reconstitution de force de l’épargne des pays détruits sous la contrainte du travail de la population pour la production et de privations pour la consommation. Cette politique sur les populations éprouvées par le conflit pouvait conduire à porter les communistes au pouvoir et contribuer à l’extension de l’URSS. Partout en europe occidentale les pays connaissent l’inflation. Au moment où, sur le plan des relations diplomatiques avec l’URSS l’horizon s’assombrissait, les populations d’europe de l’ouest devenaient un enjeu stratégique. Cependant, avec une aide d’urgence à court terme les pays ne savaient pas si celle-ci serait renouvelée. Par conséquent, ils ne pouvaient pas planifier leur reconstruction sur le long terme. C’est en 1947 que les américains prirent conscience de leur rôle de leader du monde libre et de la nécessité de permettre une telle planification pour leurs alliés, anciens et nouveaux. De plus, celle-ci était conforme à leurs intérêts de reconversion de leur économie et de leurs exportations. Il s’agit d’éviter le risque d’une nouvelle crise financière de surproduction telle que celle de 1929. Cela n’est possible qu’à condition d’exporter vers le plus grand nombre de débouchés, au moins l’europe occidentale et le Japon. Assurer le plein emploi et la consommation sont les conditions de la  sécurisation du soutien de l’opinion publique face aux défis de l’URSS. 

L’arrivée du général G. Marshall à la tête du département d’état en janvier 1947 traduit cette prise de conscience et la volonté politique américaine de répondre à ces défis. Les inutiles négociations diplomatiques par un équilibre des puissances défensif : le « le containment »

Marshall revenait alors d’une mission en Chine où il fut convaincu que rien ne pouvait plus empêcher ce pays d’être conquis par les communistes. Il fallait donc à tout prix que l’europe occidentale ne subisse le même sort. En février 1947, le gouvernement britannique averti les Etats-Unis qu’il ne serait plus capable de soutenir financièrement les résistants grecs face aux partisans communistes. La Grande Bretagne transmettait publiquement le relais de leader mondial, avec toutes ses charges, aux Etats-Unis. Le sous secrétaire d’état D. Acheson et le diplomate G. Kennan avaient théorisé la posture soviétique expansionniste et la réponse de « l’endiguement ». En mars 1947, le président Truman définissait le cadre politique du containment dans un discours au Congrès dont la première conséquence stratégique était le soutien à la Grèce et à la Turquie pour préserver la Méditérannée de l’expansion soviétique et la reconstruction de l’europe occidentale définit comme les pays à l’ouest du rideau de fer :

 « l’un des objectifs fondamentaux de la politique extérieure des EtatsUnis est la création de conditions dans lesquelles nous et les autres nations serons capables d’établir un type de vie libre. Actuellement, le choix est ouvert entre 2 types de vie : l’un fondé sur la volonté de la majorité, avec des institutions ouvertes, un gouvernement représentatif, des élections libres, des garanties pour les libertés individuelles, la liberté d’expression et de religion, l’autre fondé sur la volonté d’une minorité imposée par la terreur à la majorité et de l’oppression policière de la presse et de la radio contrôlées, des élections prédéterminées et de la suppression des libertés personnelles. Les Etats-Unis ont le devoir de favoriser le premier type de régime. Ceci est d’ailleurs conforme à l’intérêt du monde entier. »

Pour la première fois, en public, le chef d’une des 2 superpuissances du monde reconnaissait qu’il existe une menace de la part de l’autre. Il propose pour y remédier son aide économique et sa protection militaire. Ce raisonnement politique peut fort bien s’étendre et se généraliser à l’ensemble des pays qui émergeront des vagues d’indépendances des empires européens. Les événements de la scène internationale seront donc des opportunités ou non d’élargissement de la doctrine du président Truman. L’échec des Conférences de Londre et de Moscou en 1947 entre les 4 anciens alliés et la révocation des ministres communistes des gouvernements français et italien traduit cette idée de généralisation de la doctrine Truman à tous les pays menacés de subversion. Le sous secrétaire d’état D. Acheson et le responsable du Policy Planning Board, G. Kennan, mettront rapidement en place ce système d’aides économiques et de soutien militaire pour la Grèce et la Turquie en 1947.

La condition de succès de cette doctrine est la coordination des pays bénéficiaires de l’aide économique afin d’obtenir les effets maximums et d’éviter aux Etats-Unis de rendre insoutenable le poids de cette politique étrangère face à son opinion publique. En effet, les pays bénéficiaires sont interdépendants facent aux difficultés qu’ils rencontrent. C’est l’acte déclencheur de la cassure de l’europe et de la Guerre Froide. Environ $25 milliards seront transférés à l’europe et sur la base 100 en 1948, le commerce intra européen atteindra 190 en 1951 qui marque un succès historique de la politique étrangère américaine. C’est la fin de l’isolationnisme traditionnel des Etats-Unis. Selon H. Stimson :  « les américains doivent comprendre que les US sont devenus pour le meilleur et pour le pire un membre à part entière de la communauté internationale. L’ERP est un programme d’aide au relèvement européen pour le maintien de la civilisation dans laquelle le type de vie américaine est enracinée. »En conclusion, il est intéressant d’associer à cette synthèse l’interrogation contemporaine d’une nouvelle guerre froide sino américaine. En effet, le projet BRI des routes de la soie est un levier économique similaire au Plan Marshall qui peut reconfigurer les lignes de front et les alliances de la société internationale. C’est un projet global de développement des infrastructures d’échanges des biens manufacturés et des interdépendances financières associées. Ce projet BRI conduit structurellement à une adapation des organisations internationales en fonction des nouveaux rapports de forces. Les tensions régionales et les enjeux stratégiques associés seront les variables conjoncturelles qui vont conditionner les adaptations structurelles pendant la phase de transition plus ou moins longue vers le leadership global de la Chine. Le facteur idéologique serait donc le facteur critique qui porte le risuqe de rupture ou non des chaines de valeurs contemporaines.

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