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Note de synthèse : ressources et équilibres mondiaux, le cas du pétrole
23 septembre, 2019 | Commentaires fermés sur Note de synthèse : ressources et équilibres mondiaux, le cas du pétrole
Les attaques récentes contre les infrastructures pétrolières saoudiennes nous rappellent que le pétrole possède à la fois une valeur économique et politique. Les acteurs de la scène internationale, tant étatique qu’entrepreneurial, sont très vigilants à l’égard des événements dans la région moyen orientale où sont concentrés la majorité des réserves conventionnelles. Je vous propose une note de synthèse qui décrit la structure politique et économique associée au commerce du pétrole ainsi que les dernières tendances afin d’avoir une vue complète de la scène pétrolière avant les évolutions lourdes qui se profilent…
Préliminaire : la posture épistémologique
La méthode d’analyse de l’action internationale s’appuie sur l’enchainement des étapes : identification des acteurs, puis analyse de leur stratégie respective et du contexte associé afin d’identifier les objectifs poursuivis et les enjeux. Nous allons déployer cette approche aux secteurs de l’énergie, tant fossile que renouvelable, afin d’expliciter les dynamiques passées de sécurité énergétique et d’éclairer les enjeux à venir face à la transition énergétique.
Constat : les énergies fossiles, une contrainte structurelle
Le paradoxe actuel du secteur énergétique est la permanence de la part des sources d’énergie fossile dans la consommation plus de 150 ans après le début de la Révolution Industrielle, alors que les sciences et les technologies n’ont cessé d’évoluer et de relever des défis toujours plus impressionnant pour le public, il semble que les sources fossiles soient indépassables. Malgré le rythme frénétique des innovations, au moins 80% de la consommation mondiale d’énergie est assurée par des sources fossile, de l’ordre de 30% pour le pétrole, 27% pour le charbon et 22% pour le gaz. Cette dernière source semble devoir bientôt dépasser le charbon dans les directions des politiques énergétiques grâce à ses moindres émissions de gaz à effet de serre.
Conséquence : la transition énergétique et la sécurité
En effet, cette structure de la production d’énergie est confrontée à la nécessité de la transition énergétique pour ne pas déstabiliser le climat et les éco systèmes de la planète. Cette transition conduit à s’interroger sur la mise en place d’un système de sécurité énergétique globale pour l’approvisionnement en sources d’énergies disponibles et compatible avec la réduction du volume des émissions de gaz à effet de serre (GES).
Analyse de l’interdépendance pétrolière
Ainsi, nous allons examiner la problématique de la sécurité à travers l’histoire des sources d’énergie, notamment le pétrole, la source d’énergie porteuse d’une vulnérabilité prégnante depuis les débuts de l’interdépendance pétrolière en 1911 par W. Churchill. Il prit la décision d’alimenter les bâtiments de la Royal Navy avec du fuel et non plus du charbon, afin de soutenir la rivalité avec l’Allemagne. La localisation des gisements en Perse allait conduire, après la Grande Guerre, à leur sécurisation à travers la gestion par une entreprise britannique, l’Anglo Persian/Iranian Oil Company (AIOC), de la production pétrolière iranienne (Safeguarding Act de 1921). Cette interdépendance fut amplifiée par le développement de la société de consommation depuis les années 1950.
La diffusion du pétrole comme matière première dans les transports, la pétrochimie et l’agriculture étend sa valeur stratégique à l’ensemble de la société et son fonctionnement. Ainsi, 95% des transports requiert un dérivé du pétrole qui n’a pas de substitut en termes de densité énergétique massique et volumique. La concentration des réserves au Moyen Orient, plus de 50%, ne permet pas de diversifier géographiquement les gisements, d’où la nécessité d’élaborer un complexe de sécurité avec plusieurs types de puissance.
Selon J. Nye et R. Keohane c’est le coût de sortie d’une interdépendance qui détermine l’existence d’une vulnérabilité associée à une interdépendance pouvant être instrumentalisé par l’un des partenaires. Comme le rappel H. Morgenthau, la vulnérabilité associée au pétrole est la source d’une perception de menace qui peut enclencher un dilemme de sécurité avec un recours aux moyens diplomatico militaires pour diminuer cette perception. La sécurité énergétique s’appuie tantôt sur ces moyens et tantôt sur la valeur absolue des gains de l’interdépendance, les revenus financiers.
L’histoire du pétrole et le rôle de l’Etat
Ainsi, à l’issue de la seconde Guerre Mondiale en 1945 sur le retour de Yalta, le président FDR écrivait le premier acte de la tragique histoire de l’interdépendance pétrolière sur la scène internationale avec le roi Ibn Saoud, fondateur de l’Arabie. Il fut suivi peu de temps après par l’intervention du président Truman en Iran pour dissuader Staline de saisir les gisements pétroliers, ce fut la première scène de la Guerre Froide. Elle se poursuivit avec le renversement du premier ministre Mossadegh en 1953 après la nationalisation de l’AIOC en 1951. Ce contrôle sur les pays fournisseurs reposait sur le contrôle par les entreprises anglo américains de 85% de la production pour la consommation occidentale et de la capacité à encadrer et prioriser la consommation des pays du bloc de l’ouest sous le leadership du gouvernement américain. Ce contrôle s’étendait aux moyens logistiques, la production de tanker et les voies maritimes comme la nationalisation du Canal de Suez en 1956 l’illustra.
Cependant, la diffusion de la société de la consommation a induit une dépendance croissante au pétrole du Moyen Orient qui atteint 35% de la consommation à la veille du premier choc pétrolier en 1973. Ce choc organisé par l’OPEP avec le consentement des producteurs américains qui avaient désormais la justification financière de prospecter des gisements plus coûteux, le pétrole off-shore dans le Golfe du Mexique et en mer du Nord. Le premier choc conduisit le gouvernement américain à prendre conscience de la valeur économique de l’arme pétrolière.
Le président Nixon initia le credo de l’indépendance énergétique, encore invoqué aujourd’hui par le président Obama pour justifier le développement de la production non conventionnelle domestique.
Au niveau international, les américains renoncèrent à l’emploi de la force pour sécuriser leur approvisionnement et favorisèrent avec leurs alliés la création de l’AIE en 1974 afin de faciliter l’action collective et la coordination des besoins et des ressources en cas de rupture. Cependant, la production contrôlée par les International Oil Company (IOC) était descendue à 16% ce qui limitait le rôle et l’utilité des règles de partage de l’information par une organisation internationale tel que l’AIE pour réduire l’incertitude face au risque de pénurie. En effet, le second choc pétrolier en 1979 montra que cette perception conditionne très fortement le comportement des importateurs d’autant plus que la production non conventionnelle n’avait pas atteint un niveau significatif pour les rassurer. Sans oublier le rôle encore limité des réserves stratégiques recommandées par l’AIE. Le contre choc n’est arrivé qu’après, au milieu des années 1980. Dès lors, même si le risque sur la production disparaissait, le conflit Iran-Irak en menaçait les approvisionnements il montrait la nécessaire présence des moyens diplomatico-militaires comme pré requis au rôle de régulation du marché. En effet, sous le leadership américain, une quinzaine de tanker passaient sous pavillon américain et escorté par une cinquantaine de navires de guerre.
De plus, le rôle déterminants du pétrole dans l’affaiblissement de l’URSS positionna l’interdépendance pétrolière au centre de la politique étrangère américaine comme l’illustra la première guerre du Golfe dont l’enjeu était de maintenir le statu quo de la distribution du pouvoir des fournisseurs de cette région et l’exercice d’une hégémonie des moyens de sécurité afin d’accompagner la globalisation du marché pétrolier.
L’équilibre des forces entre le producteur/exportateur et le consommateur/importateur sur le marché
Après avoir examiné l’histoire du pétrole et les caractéristiques politiques et stratégiques de cette ressource pour les Etats ; nous allons examiner les spécificités des acteurs non étatiques et le fonctionnement du marché.
Les acteurs non étatiques du marché sont à la recherche de position dominante, par cartellisation pour les producteurs, sur la chaine de valeur conduit à une structure oligopolistique du marché pétrolier. Les entreprises, tant IOC que NOC se spécialisent sur la chaine de valeur qui accompagne l’accroissement du poids de la technologie avec le développement de l’extraction de pétrole de plus en plus profond dans des environnement de plus en plus contraignant.
Ces acteurs interviennent sur un marché dont les variations brutales relèvent des situations de rupture entre des paliers de prix. Elles sont déterminées par la structure des coûts de production.
Ainsi, le marché fut confronté à un 3ème choc pétrolier avec un prix du baril en dollars constant qui est passé de $26 en 2002 pour atteindre $146 en 2008.
L’explication est la diminution des surcapacités de production de 6 mbd en 2002 à 2 mbd en 2008. En effet, face au risque de rupture en approvisionnement de plusieurs pays, Lybie, Iran et récemment Irak, la perte peut atteindre 2 mbd en 2014 et la surcapacité serait alors incapable de répondre à la demande du marché dans un contexte d’un événement géopolitique ou une catastrophe naturelle imprévisible. Le marché serait dès lors vulnérable à un dilemme de sécurité : un « scramble for oil producing countries » qui répartirait la production en fonction de la distribution de puissance de la société internationale et plus en fonction du besoin économique.
Ce phénomène n’est pas simplement conjoncturel. En effet, le « peak oil » identifié aux US dans les années 1960 par le géologue M.K. Hubert est désormais une menace sur la production de pétrole conventionnel sur le marché global. Le pic pétrolier a été atteint par la production conventionnelle dans le Golfe du Mexique ainsi qu’au Moyen Orient et dans la Mer du Nord. Pour 6 barils de pétrole conventionnel consommé il n’y a qu’un baril découvert.
Après le pic pétrolier américain atteint par la production conventionnelle américaine au cours des années 1970 le développement de la production off-shore du Golfe du Mexique et de la mer du Nord a permis de répondre à l’augmentation de la demande et à provoquer le contre choc pétrolier des années 1980.
Par conséquent, le développement des pétroles non conventionnels qui se substituent aux gisements épuisés modifie la structure de coût et provoque une translation de la courbe de l’offre. Le même mécanisme de permutation de la déplétion de la production de pétrole conventionnel par du pétrole non conventionnel est en cours aujourd’hui afin de répondre à la demande :
Ce phénomène induit une pression sur l’environnement dont l’accident de Deep water Horizon en avril 2010 illustre le défi inquiétant. Les ruptures technologiques de forage à grande profondeur s’accompagnent d’une incertitude radicale sur les capacités et les conséquences sur les écosystèmes.
Le rôle du marché : la révolution pétrolière américaine
Le fonctionnement du marché repose sur l’estimation d’une demande dont la production non conventionnelle répond par une quantité fixe à son maximum de production afin de rembourser les énormes investissements réalisés tandis que la production conventionnelle complémente cette production non conventionnelle afin de satisfaire la demande. Ainsi, l’existence d’un prix n’est qu’un aspect de régulation locale du marché. Celui-ci est conditionné par la perception d’une menace de pénurie, mesurée par la distance entre la production courante et la production maximale. Cependant la différence de coût établit un seuil minimal du prix du baril en deçà duquel, la production non conventionnelle n’est plus profitable.
Plus précisément, avant les deux premiers chocs pétroliers, le prix du baril conventionnel est inférieur à $20. Ce faible prix ne permet d’investir pour développer la production. Les deux chocs vont remédier à cet obstacle, les IOC américaines et européennes vont ainsi pouvoir investir et développer la production supplémentaire non conventionnelle à l’origine du contre choc pétrolier, de 1985 à 2005 pendant laquelle le prix du baril reste dans l’intervalle de $20 à $40.
A partir de 2005, le faible niveau des surcapacités de production est à l’origine d’une perception de pénurie potentielle qui conduit au troisième choc pétrolier de 2008 avec un prix du baril de $147. Les IOC américaines investissent pour déployer les nouvelles ruptures technologiques du forage horizontale et du fracking pour développer la production de pétrole non conventionnel du type « oil shale ».
La diffusion de ces deux ruptures technologiques est rapide, entre 2008 et 2012 comme toute rupture qui suit une courbe de diffusion dite courbe en « S ».
Le prix doit alors être supérieur à la nouvelle structure de coût de ces pétroles non conventionnels, tight oil, shale oil, etc. soit entre $60 et $80 afin que ces nouveaux gisements soient rentables.
C’est alors que l’Arabie Saoudite perçoit cette nouvelle production comme une menace sur son pouvoir de fournisseur mesuré par sa part sur le marché global. Elle déclenche alors une guerre des prix pour éliminer du marché ces nouveaux producteurs en faisant baisser le prix par surproduction à partir de 2014.
Le système financier américain sera alors capable d’innover pour soutenir le secteur pétrolier américain face à cette menace existentielle. L’Arabie Saoudite encouragée par des producteurs telle que la Russie acceptera alors un relèvement progressif du cours du baril à partir de 2017.
De plus, cette chute des prix réduisait significativement la rente différentielle des pays producteurs dont la spécialisation économique sur le secteur pétrolier les rend dépendant du revenu pétrolier pour assurer la stabilité sociale de leur population. A long terme, cette guerre des prix ne pouvait pas durer plus longtemps que les réserves financières des pays producteurs.
Ainsi, l’existence d’un prix n’est qu’un aspect de la régulation locale du marché. Celui-ci est conditionné par la perception d’une menace de pénurie, mesurée par la distance entre la production courante et la production maximale. Cependant, la différence de coût établit un seuil minimal du prix en deçà duquel les rapports de force inter étatique sont dominants.
Finalement, ce sont bien les Etats, et les NOC/IOC qui assurent la sécurité pétrolière garante du mécanisme de marché nécessaire à la régulation localisée du prix autour d’un équilibre.
Les limites du marché : l’émergence de la demande chinoise
D’autre part, le marché confronté à un choc de la demande qui provient des pays émergents. Notamment, la Chine, première importatrice depuis 2013 (les importations chinoises ont commencé en 1993). Le niveau de dépendance est de l’ordre de 60% de la consommation. Compte tenu du poids financier de cet enjeu, c’est la première préoccupation stratégique de Pékin. Le moteur de cette demande c’est sa croissance économique, par exemple le marché automobile qui est devenu le premier des marchés au niveau global depuis 2009. La Chine a désormais un PIB en parité de pouvoir d’achat supérieur à celui des Etats-Unis à hauteur de $17,6 pour $17,4 milliards. Géographiquement, cette dépendance est localisée au Moyen Orient qui représente 46% et l’Afrique 23%. Cette translation de la demande rapproche dangereusement la production de son maximum ce qui conduit le marché à devenir vulnérable au moindre aléa de production, géopolitique ou climatique. En effet, les sur capacités deviennent de moins en moins capable de jouer leur rôle d’assurance du marché car elles ne sont possibles qu’avec du pétrole conventionnel dont le coût est très faible. Cette tension structurelle favorise les rivalités et les rapports de forces. Par exemple, la Chine devient le principal consommateur de toutes les surproductions. Elle a doublé ses capacités de raffinage en 20 ans. Ses National Oil Company multiplient les accords de production et de Joint Venture avec les NOC de l’ensemble de la planète : Brésil, Venezuela, Iran, Russie, Kazakhstan, etc. la moindre variation de prix à la hausse ou à la baisse comme en 2014 à $85 le baril devient une préoccupation politique majeure et structurante des relations internationales.
Plus précisément, la politique étrangère chinoise s’est orientée vers les producteurs africains : Soudan, Angola, Nigeria dès 2006 avec une offensive diplomatique massive sur ce continent ou des liens économiques ont été développé avec 48 des 53 pays africains. Il représente 10% des réserves mondiales et il ne consomme que 30% de sa production. Les importations chinoises ont logiquement et rapidement progressées ainsi que le flux d’investissement à destination d’infrastructures des pays producteurs qui renforcent la légitimité des gouvernements en place.
Mais, la sécurisation des voies maritimes associées conduit Pékin à accroitre ses moyens militaires comme le « collier de perles » (un ensemble d’accord diplomatiques avec des pays riverains de l’océan indien pour autoriser la marine chinoise à caboter le long des voies d’approvisionnement en pétrole). Elle accroit le risque de course aux armes avec la puissance hégémonique américaine. L’enjeu du détroit de Malacca où transite 80% du pétrole chinois et 90% du japonais et les rivalités régionales en Mer de Chine illustre le risque de dilemme de sécurité qui accompagne la croissance énergétique de la Chine et l’enjeu structurant pour les équilibres mondiaux
En résumé, les courbes de la production (S : supply) et de la demande (D : demand) suivent deux translations, l’une verticale pour la courbe S (développement d’une production avec un coût plus élevé) et l’autre horizontale pour la courbe D (accroissement de la demande d’origine chinoise) qui a pour conséquence de maintenir la demande orientée vers le palier de 100 mbd mais à un niveau de prix beaucoup plus élevé, entre $60 et $80. Ces mouvements sont structuraux.
La situation d’équilibre entre l’offre et la demande est associée à une incertitude radicale qui provient de la pression environnementale des extractions de pétrole plus profond et dans des conditions extrêmes ou d’événements géopolitiques. Cette incertitude est renforcée par la disparition des surcapacités qui garantissent l’existence du marché. En conclusion, la Chine développe ses moyens fongibles de sécurisation de sa dépendance pétrolière, comme la construction d’une marine de haute mer dont le premier porte avion, le Liaoning est le premier exemplaire. Elle va devenir plus assertive sur la scène géopolitique du Moyen Orient. L’absence de toute mention de la Chine, premier client de l’Arabie saoudite dans les media « mainstream » illustre l’enjeu du pétrole sur la scène internationale. L’assertivité chinoise serait un signal du début de la réalité du nouveau monde multipolaire qui angoisse tant les libéraux…