Note de synthèse : l’ère du nucléaire est elle finie ?

17 février, 2010 | Commentaires fermés sur Note de synthèse : l’ère du nucléaire est elle finie ?

Alors que la vague déclaratoire de l’Iran, des US et des grandes puissances nucléaires, se fait plus ou moins houleuse en fonction des marées diplomatiques et que le projet d’un monde sans armes nucléaires alterne avec cette houle, je vous propose une note de synthèse sur le thème de la diplomatie de l’arme nucléaire. En effet, les perspectives de l’émergence d’un neuvième pays, l’Iran, au seuil de la technologie nucléaire militaire, après les US (1945), l’URSS (1949), la Grande Bretagne (1952), la France (1960), Israel (1960), l’Inde (1974), le Pakistan (1998), la Corée du Nord (2006) semble inscrire la prolifération du nucléaire militaire dans une tendance lourde du système international alors qu’un seul pays, l’Afrique du Sud (1982-1989), est une ancienne puissance nucléaire.

L’état des lieux des armes nucléaires

Généalogie de l’armement nucléaire 

 Tout le monde connait la date et le lieu de naissance de l’arme nucléaire : 8 aout 1945 à Hiroshima. Cependant, c’est la gestation de cette technologie militaire terrifiante avant cette date qui est intéressante car elle permet d’identifier les forces qui prévalent à sa naissance. 

 L’arme nucléaire ne représente pas seulement une amélioration de la technologie militaire comme le radar, le calculateur ou les antibiotiques. C’est une rupture stratégique. Celle-ci ne fut possible qu’à partir de la rupture scientifique qui l’a précédé. L’avancée scientifique a pour vocation d’être publique et à terme partagée par l’ensemble de l’humanité. Elle est produite par une communauté transnationale de scientifique dont les publications sont un mode de fonctionnement de la démarche scientifique. La connaissance fait partie de l’infrastructure sur laquelle les Etats-Nations développent leur puissance. Ainsi, dans le contexte de la seconde Guerre Mondiale, chaque acteur étatique lança son propre projet de développement de l’arme nucléaire. L’objectif pour les Etats Unis ou l’Allemagne nazie était d’être le premier à élaborer une arme nucléaire. L’utilisation des connaissances pour la construction d’armes est un processus quasi naturel pour un acteur du système international. Ceci afin de ne pas être sous sa menace et par conséquent de bénéficier de l’avantage stratégique qu’elle confère.

 La véritable date de naissance de l’énergie nucléaire à des fins militaires est la première explosion (l’essai Trinity) d’une telle arme (Gadget) dans le désert d’Alamogordo, au Nouveau Mexique, le 16 juillet 1945.  

 

 La première explosion nucléaire (Gadget) lors des essais Trinity (http://nuclearweaponarchive.org/Usa/Tests/Trinity.html

 Le moteur du développement de l’arme nucléaire par les Etats-Unis est la perception d’une menace à leur sécurité nationale. Dans l’histoire du développement des armes nucléaires, c’est la principale motivation des Etats. C’est le sens de la lettre d’A. Einstein à l’origine du projet Manhattan en 1939. Sans cette perception par un Etat d’une menace sur son indépendance ou sa reconnaissance, l’énergie nucléaire reste civile avec des applications pacifiques. L’origine de l’armement nucléaire se trouve dans les perceptions des relations inter étatiques. 

 En lui même, le projet Manhattan reste un paradigme de l’accès au nucléaire. Aujourd’hui, un pays, avant de proférer des menaces nucléaires crédibles, doit suivre les mêmes étapes de mise en place que la première puissance nucléaire.  

 Le développement de l’arme nucléaire 

 La première étape est une phase de R&D, qui peut durer jusqu’à 10 ans, pour acquérir et maîtriser la connaissance théorique et opérationnelle à l’origine de l’arme nucléaire. La physique nucléaire n’est pas maitrisable par un petit nombre de savants fous mais par un large réseau de scientifiques, d’ingénieurs et de techniciens.

 La liste des scientifiques dont les travaux ont contribué au cadre théorique, condition nécessaire du projet Manhattan, est impressionnante. Elle constitue l’une des plus grande aventure de la physique moderne. L’histoire commence avec Henri Becquerel en 1896 et la découverte de la radioactivité et se poursuit avec A. Einstein en 1905 et l’équivalence matière énergie, puis en 1934 avec F. et I. Joliot-Curie et la radioactivité artificielle et la maitrise de la réaction nucléaire artificielle en chaîne en 1942 avec E. Fermi et L. Sizlard. Il aura fallu une quarantaine d’années de recherches tâtonnantes aux grands esprits de la Physique qui travaillaient sans vraiment entrevoir toutes les applications potentielles. Aujourd’hui encore, il faut la capacité d’organisation d’un Etat pour mettre en place le réseau de scientifiques et d’ingénieurs capable d’acquérir ce capital de connaissances. 

 Au passage, l’on notera ce que signifie une rupture énergétique dans le domaine de la physique et ce que doit affronter l’humanité pour répondre au défi du changement climatique. Il y a encore pas mal de découvertes fondamentales à faire avant de prendre le chemin du développement durable… 

 Ainsi, en 1939, le cadre conceptuel existait pour passer à la seconde étape, le développement technologique d’une arme nucléaire. C’est le projet Manhattan. Il est important de noter que pendant la première Guerre Mondiale les recherches sur la radioactivité avait été considérablement ralenti. L’existence d’un affrontement meurtrier à un niveau mondial ne s’était pas traduite par la même perception de menaces que lors de la seconde Guerre Mondiale. C’est dans le mécanisme de reconnaissance interétatique que la course à l’arme atomique trouve sa motivation. 

 En octobre 1939, le président Roosevelt répondait à la lettre d’Einstein attirant l’attention des Etats-Unis sur la menace que constituait les recherches sur l’atome mené par les nazis. FDR créa un Comité sur l’uranium avec un budget de $6000. C’est l’attaque sur Pearl Harbour le 7 décembre 1941 qui convainquit le président américain d’accélérer la fabrication de la Bombe. Le projet obtiendra en tout $20 milliards à la fin de la guerre et 125 000 personnes y auront contribué. 

 Cette constatation du rôle centrale des perceptions dans les relations entre Etats s’imposa rapidement à la fin du projet puisque les premières bombes atomiques furent utilisées contre le Japon et non contre l’Allemagne, la cible originelle. Un nouveau type de guerre avait commencée alors que la seconde Guerre Mondiale venait à peine de finir. La Guerre Froide se caractérisa par la sanctuarisation du territoire de chaque  puissance nucléaire qui se livra alors à des affrontements par pays intermédiaires sans jamais se menacer directement. La Crise des missiles de Cuba en 1962 valida cette sanctuarisation du territoire d’un pays doté de l’arme nucléaire. L’objectif du président américain était d’agir avant que les missiles soviétiques ne deviennent opérationnels. 

 Aujourd’hui, pour la phase d’ingénierie et de construction il faut compter au moins 5 ans pour développer une arme nucléaire. A l’époque les premiers jalons furent la première réaction en chaine dans une pile atomique et la mise en place des infrastructures en 1942 et 1943. Ensuite il y a la phase de test des développements et de prototypage. Il est alors nécessaire pour les personnels de maitriser l’ensemble des systèmes afin d’acquérir le niveau de fiabilité requis. La dernière chose que souhaite un gouvernement en phase d’acquisition de l’arme nucléaire c’est d’être victime d’une explosion accidentelle son territoire et de voir sa propre population (source de sa légitimité) irradiée. Puis, il faut conduire des tests opérationnels dans un environnement de conflit simulés. La phase de production des armes nucléaires est ensuite progressive pour atteindre un niveau maximal de la chaine de production. Enfin, la phase de déploiement est la diffusion des armes dans des unités militaires avec la tactique et les procédures adéquates. Un autre problème que veut éviter un gouvernement détenteur de l’arme nucléaire c’est de voir sa propre armée détruite par les retombées des radiations d’une attaque nucléaire qu’elle aurait mal conduite. Ainsi, entre la production du matériel nucléaire avec la qualité militaire requise et le déploiement des missiles nucléaires qui constitue l’essence de la menace cela prend un certain nombre d’années et nécessite la maitrise de la raison technicienne et instrumentale propre aux grandes puissances. Le développement de l’arme nucléaire n’est possible que par un Etat développé, robuste et possédant la rationalité bureaucratique. 

 La diplomatie nucléaire 

 Chaque pays qui décide de devenir une puissance nucléaire doit donc se trouver sous l’action d’une menace à sa sécurité nationale ou à la survie de son régime politique sur une longue durée afin de consentir aux efforts nécessaires. La prolifération de l’arme nucléaire à sa source non pas dans la facilité de la diffusion des connaissances, mais dans la perception des menaces et le développement de la puissance étatique qui est au cœur des relations entre les Etats-Nations.

Exemple d'explosition atomique : Mike 10.4 MT en oct 1952

Le premier essai d’une bombe thermonucléaire 

 Cette diplomatie nucléaire suit un certain nombre de normes qui gouvernent le comportement des pays de la société internationale :

 – Tout d’abord, aucune puissance nucléaire n’utilise ses forces militaires conventionnelles directement contre une autre puissance nucléaire

 – Une puissance atomique sanctuarise son territoire, sa population et ses ressources naturelles quelques soit le nombre de ses missiles nucléaires

 – Une puissance nucléaire peut utiliser ses forces armées conventionnelles contre un pays non nucléaire mais elle ne peut pas employer ses armes nucléaires 

 L’arme nucléaire a un rôle défensif par la dissuasion qu’elle exerce, ce n’est pas une arme de projection du “hard power”. Tant que la perception d’une menace existera entre deux pays, l’un d’eux tentera de bâtir une arme nucléaire afin de dissuader l’autre d’exercer cette menace, réelle ou non. 

 J. Siracusa , Nuclera Weapons : A very Short Introduction, Oxford University Press, 2008K.

 L. Lerner, B.W. Lerner, Encyclopedia of espionage, intelligence and security, Thomson Gale, 2004F.G. Gosling,

 The Manhattan project, making the atomic bomb, US Department of Energy, Jan 1999